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Le Rakugo à la vie à la mort

La voie difficile

du Rakugo

 

Le Rakugo à la vie à la mort est un Josei de Kumota Haruko, publié au Japon en 10 tomes de 2010 à 2016. Les éditions Lézard noir nous font le plaisir d’acquérir cette licence sous la forme assez conséquente d’un double format, ce qui l’amènera à faire 5 volumes au total. Le premier tome sort en Août 2021.

 

Ce manga possède également plusieurs adaptations animées disponibles sur ADN  ainsi qu’un drama.

Dans les années 1960, Kyoji est libéré de prison pour bonne conduite et se met à la recherche d’un maître de Rakugo qui l’a rendu passionné de cet art. Décidé à devenir son disciple, il fait tout pour le rencontrer et contre toute attente, le grand maître Yakumo qui n’acceptait aucun disciple le prend sous son aile et lui donne le nom de Yotaro (nom du personnage idiot dans le Rakugo). Yotaro tente alors de faire perdurer cet art qui lui a permis de tenir le coup pendant sa détention et d’en apprendre toutes les ficelles, accompagné du domestique Matsuda et de Konatsu, la fille d’ un célèbre Rakugoka, rival de Yakumo mort tragiquement.

 

Avant de commencer ma lecture, je suis allée me renseigner sur ce qu’était le Rakugo, afin de mieux l’apprécier. Je me permets donc de vous expliquer de manière générale ce qu’est cet art ancien. Le Rakugo est l’art de la Parole qui a une chute. C’est un art qui a vu le jour au XVIe Siècle au Japon et qui mettait en scène un conteur à genoux qui ne pouvait mouvoir que le haut de son corps. Le conteur doit donc se concentrer sur sa voix, sa rythmique et la gestuelle de ses mains pour donner l’effet escompté. Ses seuls accessoires sont une serviette et un éventail et son rôle est d’être capable d’incarner tous les personnages de l’époque edo et de créer une histoire qui se termine le plus souvent sur un calembour. Bien qu’ayant commencé dans les rues, le Rakugoka se produit maintenant dans les Yose, des théâtres réservés aux Iro mono: Les arts traditionnels de la parole japonaise. Si vous voulez en apprendre plus encore, je vous invite à vous rendre sur le site de Rakugo France, qui m’a beaucoup aidé à comprendre cet art grâce à leurs articles clairs et complets.

Si je ne dis pas de bêtises, le Rakugo est également l’art que pratique Sherlock dans Kabukichou Sherlock lors de la résolution de ses enquêtes et déjà à l’époque je trouvais cet art plutôt intéressant et trop méconnu en France.

On ne va pas se le cacher, notre œuvre se déroule à une période où le Rakugo commence à faire son temps, et à se faire dépasser par d’autres types de comédies comme le Manzai. Le Manzai (pour vous expliquer rapidement) est un type de comédie japonaise qui met en œuvre un duo avec un Tsukkomi: un gars intelligent, sérieux, rationnel; et un Boke: Un personnage grotesque, idiot. Ils font rire par des quiproquos et des jeux de mots et se produisent aussi bien à la télé que dans les Yose. L’histoire de Yotaro promet alors de ne pas être de tout repos.

 

 

Cet apprentissage pour un art traditionnel qui peine à persister me fait penser à d’autres œuvres qui se déroulent dans un univers plus moderne comme Kono Oto Tomare avec le Koto, ou Mashiro no Oto avec le Shamisen. Ce sont des arts totalement différents mais ces œuvres racontent des histoires fortes et remettent en avant des pratiques dont les plus jeunes se détournent normalement. Tous les trois donnent envie de se plonger dans ces différents arts en spectateur tout comme en pratiquant.

Car oui, Le Rakugo à la vie, à la mort m’a passionnée. J’ai réellement découvert un art que je ne connaissais pas du tout ou du moins de très loin et j’ai trouvé ça vraiment intéressant à découvrir, captivant. Le Rakugo est un art vraiment complexe, il faut se dire que le Rakugoka doit jouer plusieurs personnages à lui tout seul, pouvant donner parfois un air de schizophrénie. Mais si c’est bien fait, cela vous happe dans l’histoire et vous émerveille vraiment. On est parfois très peu marqué du jeu des comédiens, un Rakugoka pour être bon, se doit de nous capter en tout point. Et on peut dire que l’auteur, même s’il ne raconte qu’une histoire sur le Rakugo, m’a totalement conquise et captivée.

Tout d’abord, rien que le fait que l’histoire ne se déroule pas dans une période moderne (comme c’est au contraire souvent le cas pour ce type d’histoires qui met en avant un art traditionnel japonais) m’a vraiment intriguée. Moi qui ne suis pas fan d’Histoire j’en suis venue à vraiment m’intéresser à cette période du Japon et à celle racontée avec le passé de maître Yakumo. Cette manière de narrer le passé japonais apporte une petite touche qui fait qu’on ne peut se détourner du titre. Finalement, ce côté histoire qui se déroule à une autre époque finit par s’estomper, on s’habitue à cette époque et on y fait plus vraiment attention car au fond, ce n’est pas une période si lointaine de la nôtre. Heureusement, il y a toujours quelques petits détails qui nous rappellent que tout ceci se passe dans la seconde moitié du XIXe Siècle et c’est toujours plaisant de remarquer les petites différences entre l’époque et le monde moderne. C’est peut être idiot mais je me dis que plus l’œuvre va prendre en âge, plus on sera fasciné de la différence entre la période dans laquelle se déroule ce titre et notre époque.

En plus de nous présenter un art né au XVIe Siècle et qui perdure dans le temps, l’auteur nous offre un point de vue sur la seconde guerre mondiale avec Maître Yakumo et sa jeunesse avec Maître Sukeroku, où ils ont tous les deux grandi ensemble, disciples du même maître, passant leur période de Zenza en partie ensemble, séparés par la guerre et réunis ensuite pour leur période de Futatsume. Vous comprendrez mieux les termes en lisant le titre, mais ce passé raconté m’a vraiment marqué tant il était prenant et émouvant par moment, et nous présente une partie d’un personnage que j’apprécie énormément: Maître Yakumo. Ce passé là est peut être un témoignage fictif, mais présente une partie de la guerre et de l’après guerre qu’on a que trop peu connu chez nous, et j’ai hâte d’en voir plus sur l’élévation de Maître Yakumo, mais aussi sur la fin tragique de Maître Sukeroku.

En effet, même si l’intrigue principale semble être de faire de Kyoji un Rakugoka alors qu’il sort de prison, il y a une intrigue secondaire et un mystère qui plane, celui de la mort de Maître Sukeroku et la recherche de réponses de la part de sa fille Konatsu. Et si l’intrigue principale me passionne déjà beaucoup, la secondaire m’emporte encore plus dans ce titre, je veux savoir ce qui s’est réellement passé, pourquoi ce grand Maître est mort. Pour le moment on a que peu d’indices, de rares planches qui montrent vaguement la scène, mais je pense qu’à la suite, Maître Yakumo parviendra à s’ouvrir sur ce fait tragique.

 

 

“Je voudrais que vous m’appreniez votre art. J’aimerais en faire profiter le plus de monde possible. Je veux faire connaître le Rakugo à un large public.”

– Kyoji

 

 

Pour en revenir sur l’intrigue principale, elle est très intéressante et instructive et avec le passé raconté par Maître Yakumo, il serait intéressant de reprendre notre lecture de l’intrigue principale de zéro, tant on peut voir de similitudes entre le personnage de Kyoji et celui de Maître Sukeroku, mais j’y reviendrais un peu après. En tout cas, elle n’a rien à envier à l’intrigue secondaire puisqu’elle permet de nous faire une approche plus simple et plus légère de ce qu’est le Rakugo, des différents rangs, et d’autres points importants de cet art. On apprend avec Kyoji et on apprécie l’humour de ce titre qui nous propose des personnages au répondant et aux gestuelles bien drôles. Je pense notamment au côté direct et tranchant de Konatsu ou à l’air détaché de Maître Yakumo.

On reste cependant sur un manga assez sérieux. Plus d’une fois dans le tome on aperçoit les personnages s’inquiéter du devenir de cet art qui semble en déclin dans la seconde moitié du XIXe Siècle. C’est un art qu’ils aiment profondément et qu’ils ne veulent pas voir disparaître et je les comprends totalement. Durant la lecture du titre, on a toujours un petit côté sérieux et inquiétant qui reste. Pas seulement à cause du mystère qui plane autour de la mort de Maître Sukeroku, ou de l’inquiétude de voir disparaître le Rakugo, mais aussi et surtout par rapport au pessimisme et au visage souvent sombre de Maître Yakumo.

Maître Yakumo est le personnage qui m’a le plus marqué dans ce titre. C’est un homme un peu âgé, mais que je trouve vraiment charismatique et passionnant. Il est toujours sérieux, n’a jamais voulu prendre d’apprenti, mais s’ouvre peu à peu en présence de Kyoji. C’est au fond un vieil homme au cœur brisé par la perte tragique de son ami qui était un peu celui qui l’a aidé à tenir le coup durant toute sa jeunesse. Si déjà plus jeune il n’était pas très joyeux, son pessimisme n’a fait qu’augmenter avec la disparition de l’être cher, et on s’en rend vraiment compte à mesure que le titre progresse. Au début on aurait vraiment cru à un homme sérieux et calme, qui parfois fait rire par son répondant, et pourtant en vérité c’est un homme qui cache une profonde souffrance qui ne demande qu’à ressortir. J’espère que Kyoji pourra l’aider à s’ouvrir et à soigner ce cœur blessé qui n’a que trop peur de voir disparaître avant lui un autre être cher. Ce personnage m’a vraiment fait accrocher à ce titre, plus que Kyoji et son passé de délinquant un peu mystérieux.

Kyoji quant à lui, a commencé à vraiment m’intéresser grâce au parallèle qu’on pourrait faire entre lui et Maître Sukeroku. Je pense qu’il possède exactement le même caractère que ce grand homme et que ce doit être pour ça que Maître Yakumo n’a pas pu s’empêcher de le prendre sous son aile. Je suis persuadée que c’est le seul personnage qui puisse être capable de soigner le cœur blessé du maître et lui permettre de trouver le repos. Mis à part ça, j’espère le voir grandir et progresser dans un bon sens, et peut-être le voir un jour égaler le talent de Maître Sukeroku. J’espère cependant que Maître Yakumo ne va pas trop projeter ses souvenirs de Maître Sukeroku sur lui.

En tout cas, l’histoire prenante et les personnages passionnants nous mettent dans une ambiance incroyable tout au long de notre lecture au point qu’on réagit à la moindre réaction des protagonistes, qu’on a le cœur serré lorsqu’on les voit souffrir. L’auteur a su créer des émotions que le lecteur peut totalement ressentir et l’ambiance tantôt sérieuse, tantôt inquiétante, tantôt drôle est totalement perceptible et ne fait que nous plonger davantage dans ce titre.

 

 

En plus d’une histoire et de personnages que je trouve passionnants, Le Rakugo à la vie, à la mort nous propose un dessin particulier mais qui rend parfaitement bien. Les chara designs des personnages ont un style bien à eux mais permettent une palette d’émotions incroyable qui nous emporte. La manière dont l’auteur dessine ses planches pour donner de l’émotion à certaines scènes est incroyable. Il parvient à serrer le cœur du lecteur plus d’une fois. Alors certes il n’y a pas beaucoup de décors, mais quand il y en a ils sont magnifiques et on a beaucoup de scènes marquantes splendidement réalisées et qui parviennent réellement à nous faire ressentir toutes les émotions que l’auteur voulait retranscrire. Le style un peu particulier de l’auteur finira par vous plaire totalement, d’autant que Lézard Noir nous propose vraiment une édition qui le sublime.

L’auteur a tout de même été capable de m’emporter durant les scènes de Rakugo, au point que j’ai eu l’impression de voir une véritable pièce se jouer devant moi plus d’une fois. Il a su décrire avec talent cet art et la gestuelle des Rakugoka, au point qu’on veuille regarder de véritables représentations après la lecture du titre. Je n’ai vu ni l’anime ni le drama qui en a découlé, mais j’espère vraiment qu’ils auront su transmettre l’émotion que l’on a pu ressentir en lisant ses scènes impressionnantes et sublimes.

 

En conclusion, on peut dire que ce titre est une réussite, que ce soit pour son scénario, ses personnages ou son dessin. J’ai été emportée dans ma lecture du début à la fin. J’ai été marquée par Maître Yakumo qui est un personnage bien plus complexe que l’on peut le croire au début. Une histoire qui aurait pu paraître simple au départ, a été complexifiée par une intrigue secondaire prenante et poignante qui nous a permis de dévoiler des personnages aux souffrances cachées et plus précisément celles de Maître Yakumo qui, au fond de lui, a le cœur brisé et la peur de perdre un autre être cher. En plus de cela, on découvre un art qu’on ne connaissait pas, historique et passionnant, et qui donne vraiment envie d’en apprendre plus. D’autant que le parallèle entre Kyoji et Maître Sukeroku attire de plus en plus mon attention et j’ai hâte de voir comment ce jeune Zenza va évoluer. J’espère ne pas m’être trop perdue dans ma critique, ce titre m’a vraiment passionnée, si bien que j’ai peur de ne pas avoir su trouver les mots justes pour le présenter. Quoi qu’il en soit c’est un titre prenant, poignant, adulte mais aussi abordable pour de plus jeunes personnes, il faut juste accepter de s’ouvrir à une culture qu’on connaît moins et se laisser emporter par toutes les émotions que cette œuvre a à nous offrir.

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L.

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